On se souvient de l'agriculteur de l'Ile de Ré à la retraite, aux revenus plus que modestes mais propriétaire de ses terres donné à bail à ferme à son fils agriculteur, terres évaluées pourtant une fortune du fait de leur proximité littorale. Fallait-il que l'intégralité de son revenu, ou pire, serve à payer l'ISF dû à cause d'une situation géographique fiscalement défavorable ?
Ce fut l'emblème de l'injustice fiscale de l'ISF dans des situations où les revenus procurés par des biens n'étaient pas à la hauteur de la valeur estimée desdits bien. Ainsi également des héritiers de châteaux ayant des professions peu rémunératrices et contraints au paiement d'un ISF supérieur à leur revenu.
Le bouclier fiscal, partant de ces situations manifestement injustes, a ainsi été fondé sur l'idée qu'on ne peut retirer à quelqu'un plus d'un certain pourcentage de son revenu comme contribution aux charges de la collectivité. Cette idée vient atténuer le sentiment, plus ou moins éprouvé par l'ensemble des contribuables d'ailleurs, de confiscation par l'impôt.
C'est ainsi en ces termes que le ministre délégué au budget a qualifié la mesure lors des débats devant l'Assemblée Nationale (JOAN 2e séance du 16 novembre 2005 p. 6911) :
« Notre dispositif a effectivement vocation, et nous l'assumons, à mettre « les pieds dans le plat » à propos de la surtaxation. [...] Nous devons assumer cette progressivité de l'impôt sans pour autant nous engager dans une logique confiscatoire [...]. »
La décision du Conseil Constitutionnel, saisi de la conformité de ce dispositif avec la Constitution, a rappelé, avant de valider l'article en cause (Décision N° 2005-530 DC - 29 décembre 2005) :
« Considérant que l'article 13 de la Déclaration de 1789 dispose : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés " ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives; »
Ainsi, le Conseil Constitutionnel a pu considérer que le dispositif dit du « bouclier fiscal » permettait d'éviter que l'impôt revête un caractère confiscatoire, ce qui serait le cas dans l'hypothèse où l'ensemble des impôts dépasseraient 60% des revenus du contribuable (50% actuellement).
Aujourd'hui, le "bouclier fiscal" fait scandale non pas tant d'ailleurs du fait de son principe que du fait son application. On parle peu du fond du dispositif : que les impôts ne dépassent pas une certaine part du revenu, peu de gens y semblent opposés. Ce qui exaspère, c'est le mécanisme de remboursement. Le bouclier est à effet différé : on paye l'impôt, puis on réclame le remboursement de l'excédent d'impôt par rapport à la barre des 50% du revenu. Cela donne lieu à des chèques du Trésor à des contribuables, par hypothèse, considérées comme fortunés. Exit le paysan de l'Ile de Ré, on ne parle plus que de Mme Bettencourt.
Le bouclier est donc sur la sellette. Mais le fond du dispositif, le Conseil Constitutionnel l'a quasiment considéré comme remplissant une exigence constitutionnelle, celle de ne pas voir l'impôt devenir confiscatoire, au visa de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Les articles 2 et 17 sur la protection de la propriété privée pourraient d'ailleurs tout à fait venir lui prêter main forte dans cette défense du bouclier.
Mais il reste une difficulté d'ordre procédural. Si une loi, comme la loi de finances pour 2011 à laquelle un amendement supprimant le bouclier fiscal a été déposé, venait supprimer le dispositif, il y aurait probablement peu de députés ou de sénateur pour saisir le Conseil Constitutionnel de cette suppression. En effet, il serait sans doute difficile de trouver dans l'opposition de gauche 60 députés ou 60 sénateurs pour venir contester une réforme qu'elle appelle de ses voeux.
La question prioritaire de constitutionnalité pourrait alors venir au secours du contribuable lésé par cette disparition. Mais quelle disposition "applicable au litige" attaquer, puisque précisément on se plaindrait, non pas de l'existence d'une règle, mais de sa disparition ? Ou bien est-ce la somme des dispositions instaurant les différentes impositions (IR, taxe d'habitation, taxe foncière, ISF, ...) dont il conviendrait de demander l'inconstitutionnalité dans leur ensemble ? Faudrait-il revenir sur le terrain de l'inconventionnalité, eu égard à la Convention européenne des droits de l'homme ?
Voilà des questions que le paysan de l'Ile de Ré va pouvoir bientôt méditer...